Sur la porte de l'appartement 3F est scotché un portrait de Martin Luther King, entouré de vieilles coupures de journaux. L'entrée est libre, Marjorie nous accueille comme si l'on s'était quittés la veille. Nous ne l'avions jamais vue. Le modeste appartement est envahi par les chaises pliantes. Les deux rangées les mieux placées - dans le petit salon où trône le piano - sont déjà occupées. Restent la cuisine, l'entrée ou le couloir d'où l'on aperçoit les musiciens en se tordant le cou. Le public mélange les amateurs de jazz, les voisins et quelques touristes, guide à la main et appareil photo en bandoulière, assez peu nombreux finalement alors que ce concert est répertorié dans le Lonely Planet.

Marjorie se met au piano. Les musiciens s'installent et c'est parti pour une heure de pur bonheur. Sedric Choukroun, le saxophoniste, est français. Depuis 8 ans, il consacre ses dimanches après-midi à la session chez Marjorie. Le matin il joue pour le brunch dans des restos huppés, le soir dans des clubs, mais il ne raterait pour rien au monde son rendez-vous dominical avec le public de l'appartement 3F : « Le jazz retrouve ici sa forme populaire, c'est une musique folklorique ». Les autres musiciens sont aussi des pointures : Rudel Drears, piano et chant, et son père Al à la batterie. Pendant la pause, notre hôtesse sert à ses invités du poulet frit et un jus de pomme épais. Les habitués viennent saluer les artistes.

Puis la musique reprend. Jusqu'au final où les applaudissements nourris font trembler le parquet et les murs. Rudel, qui vient de chanter, s'incline aux anges, joignant les mains pour remercier l'assemblée. Il profite alors d'une brèche dans le brouhaha pour glisser « we'll all vote for Obama » (nous allons tous voter pour Obama) à deux reprises. Marjorie s'accroche alors à son coude, reprenant la parole pour corriger « Oh no no no ! no policy here ! Only music ! » (pas de politique ici, seulement de la musique).
Oubliant peut-être que Martin Luther King n'était pas jazzman...